Je veux juste être tranquille

Je veux juste être tranquille

 Quand la violence conjugale rencontre la poésie, que se racontent-elles ? 


Vingt cinq histoires courtes et émouvantes, dites par des femmes battues, des hommes violents, leurs enfants témoins et donc victimes, leur entourage.
L’auteure de ces textes, Anne-Marie Reine LE PAPE, est avocate, elle défend des femmes battues depuis le début de sa carrière, en liaison avec notre association HAFB, notamment.
Plus de vingt cinq ans plus tard et autant d’histoires réelles entremêlées, des personnages fictifs ont surgi dans des situations remaniées, représentatives de la violence conjugale ordinaire.
Puissent ces histoires apporter aide et réconfort à toute personne touchée par la violence conjugale, et sensibiliser le public à cette catégorie de violence si répandue et pourtant si méconnue.

 Extrait du poème 25 : "Un hématome dans le placenta"

...
J'entends les pompiers
son avocat a dû les appeler
qui s'assemble ne se ressemble pas.
Sur mon lit d'hôpital, je suis hébétée
j'ai appris d'affilée :
mon bébé est mort depuis une semaine dans son cocon
son père a voulu se pendre dans sa prison.
Je vois flou, une femme est là
je reconnais sa voix
c'est l'éducatrice de l'association « Halte Aide aux Femmes Battues ».
Mon imagination s'évade
pendant qu'elle me parle.
Je me demande :
Halte, est-ce dans le sens « Stop la violence » ?
Dans ce cas, il est trop tard pour moi.
Ou alors
La Halte dans le sens « Pose la violence et repars, légère » ?
Dans ce cas : oui, pour me faire dorloter
mais je suis loin de pouvoir m'envoler
...

Lire le Poème 'Un hématome dans le placenta' en entier

Un hématome dans le placenta

Est-ce que ma vie va s'arrêter sur ce tapis ?
J'ai dû avaler une dent, tant pis.
Des bulles de sang sortent de ma bouche.

Je me revois, petite :
je joue avec mon père
des bulles de savon sortent de ma bouche
et je ris, je ris.
J'imagine sa douleur quand il apprendra :
sa fille unique n'a pas survécu
aux coups.

Depuis qu'il m'a traînée sur le parquet
la semaine passée
je ne sens plus le bébé bouger.

Je l'entends sous la véranda
il martèle à son avocat :

— Elle est sûrement morte
couchée là derrière la porte
— .....
— Non, non pas la police.

Si je leur disais qu'elle a voulu s'avorter
ça expliquerait qu'elle soit blessée.

Il ne s'en sortira pas :
Le commissaire sait déjà
que mon ventre, dès ses premières rondeurs
a été le détonateur.
Il m'a demandé chaque jour d'avorter
d'abord avec les mots, depuis peu avec les gestes.

La juge lui avait donné deux mois
avant de mettre le haut-là
mais il est toujours là
sa colère ne bouge pas.
La juge est une femme
la greffière est une femme
mon avocate est une femme
il est victime d'une conspiration
il habitait là avant notre union
mais on n'expulse pas une femme et un nourrisson.
Encore le bébé !

L'huissier ne peut rien pour moi
il hiberne
c'est la trêve hivernale.
Pour expulser un conjoint ou un locataire
c'est à la même loi qu'on a affaire
sauf qu'on n'a jamais vu sous le même toit
loueur et locataire !

Il n'acceptait de payer que le terme
il pointait son nom « Tu comprends les termes ? »
il me le répétait suffisamment :
« Ici tu n'es pas chez toi
sors ton gros ventre de chez moi
je n'ai pas de place pour un berceau
il se pourrait bien que tu expulses avant terme. »

Sans enfant, il était unique
avec enfant, s'ouvrait la concurrence.

J'ai expliqué à mon avocate :
il ne veut pas payer de pension
je me débrouillerai seule.
Je ne veux pas non plus d'indemnisation
je ne veux rien
je veux juste être tranquille.

J'entends les pompiers
son avocat a dû les appeler
qui s'assemble ne se ressemble pas.
Sur mon lit d'hôpital, je suis hébétée
j'ai appris d'affilée :
mon bébé est mort depuis une semaine dans son cocon
son père a voulu se pendre dans sa prison.

Je vois flou, une femme est là
je reconnais sa voix
c'est l'éducatrice de l'association « Halte Aide aux Femmes Battues ».

Mon imagination s'évade
pendant qu'elle me parle.
Je me demande :
Halte, est-ce dans le sens « Stop la violence » ?
Dans ce cas, il est trop tard pour moi.
Ou alors
La Halte dans le sens « Pose la violence et repars, légère » ?
Dans ce cas : oui, pour me faire dorloter
mais je suis loin de pouvoir m'envoler.

Je couvre de mes deux mains l'acte « enfant sans vie »
encore quelques jours, il y aurait eu un berceau ici.
Elle touche ma main et elle reprend d'une voix brisée :
« Reposez-vous, nous en reparlerons
vous avez droit à indemnisation. »
Combien pour mon enfant-espoir ?
J'étais sensée le protéger à l'intérieur de moi
mais… un hématome dans le placenta !

Comme je l'ai dit à l'avocate :
Je ne veux rien
je voulais juste être tranquille.

" Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure à l'occasion de la création du site de l'association HAFB cette année 2018.
Extrait du recueil « Je veux juste être tranquille »
d’Anne-Marie Reine LE PAPE- tous droits réservés -"

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